Camp de Tal Abbas au Liban.
Le 3 octobre 2013, le naufrage d’une embarcation au large de l’île italienne de Lampedusa fait plus de 360 morts. Ce naufrage est le plus meurtrier d’une année 2013 qui a fait de nombreuses victimes en Méditerranée. Ce soir-là, des membres de Sant’Egidio étaient à Lampedusa sur place pour aider. Maria Quinto, membre de la Communauté à Rome, se rappelle les « témoignages terribles des pêcheurs qui ont été les premiers à chercher des survivants, des témoignages des survivants eux-mêmes. Nous avons aidé au centre d’accueil d’urgence où étaient mis à l’abri les 155 survivants de la catastrophe, parmi lesquels 41 enfants. Tous avaient perdu un ami, leur femme, leur mari, une sœur ou un fils.
Parmi toutes les personnes présentes, je me rappelle un homme en particulier, un citoyen allemand d’origine érythréenne. Il allait et venait, extrêmement anxieux. Il cherchait son frère, un jeune professeur érythréen. Cet homme allemand, propriétaire d’une petite entreprise d’une trentaine de salariés, a essayé durant deux années entières de faire venir son frère de manière légale. Mais il n’a jamais réussi. Ainsi, le frère de cet homme avait mis de côté l’argent, et il a finalement tenté, avec dix de ses étudiants, la dangereuse traversée de la Méditerranée. Mais ce professeur, ces élèves, et 368 autres personnes sont mortes ce jour-là, et n’ont jamais rejoint l’Europe. »
Revenir sur ce drame est primordial pour comprendre la naissance des Couloirs humanitaires. Les personnes qui fuient la guerre et les persécutions ont des droits – le droit à l’accueil et à l’asile – mais faute de voies légales pour rejoindre l’Europe et trouver une protection, ces personnes trouvent une mort absurde. Les Couloirs Humanitaires naissent de là : de la révolte contre ces morts en mer, ces morts dans le désert, dans les cols des montagnes, dans les cales des bateaux, dans les camions, dans les trains d’atterrissage des avions…
Après le 3 octobre 2013, commémoré chaque année en Italie, d’autres drames ont suivi, notamment le naufrage d’une autre barque le 11 octobre 2013 transportant des personnes syriennes fuyant la guerre. 268 Syriens, dont de nombreux enfants, sont morts. En 2013, on estime que plus de 2400 personnes ont trouvé la mort en Méditerranée (Rapport OIM, 2014). En 2014, les chiffres ont continué a augmenté avec plus de 4000 morts dans l’année . Cette tragédie du 3 octobre et les suivantes devaient être un point de non-retour.
Arrivée en France à l'aéroport de Roissy.
Sant’Egidio a commencé à élaborer une proposition, une alternative pour trouver une manière sûre et légale de mettre ces personnes à l’abri, sans passer par les trappes mortelles des passeurs. Sant’Egidio a étudié les normes européennes existantes et a puisé dans le règlement des visas de l’Union européenne la base juridique permettant la mise en œuvre des Couloirs humanitaires, avec la possibilité pour chaque État membre de concéder des visas pour des raisons humanitaires.
Après de longs échanges avec le ministère de l’Intérieur italien, puis le ministère des Affaires étrangères, après les difficultés bureaucratiques, les oppositions et grâce au dialogue, un projet-pilote a été finalement adopté. Ce premier protocole, porté par Sant’Egidio en partenariat avec la Fédération des Églises protestantes italiennes, prévoyait la délivrance de 1000 visas pour des Syriens en provenance du Liban, 1000 personnes à sauver en leur permettant d’entrer légalement sur le sol italien et de s’y reconstruire.
En 18 mois seulement, ce premier protocole des Couloirs humanitaires, signé le 15 décembre 2015 a permis à 1000 syriens d’arriver de manière sûre et légale en Italie et de s’y intégrer grâce à des collectifs de la société civile à leurs côtés. Au vu des résultats positifs de ce premier projet-pilote, l’Italie a renouvelé à l’identique ce protocole dès 2017.
Après le Liban, un autre Couloir humanitaire a été ouvert au départ de l’Éthiopie. Le 12 janvier 2017, un protocole était signé pour l’accueil en Italie de 500 réfugiés érythréens, somaliens et soudanais du Sud, fuyant leur pays à cause des conflits en cours. Ce Couloir humanitaire italien sera renouvelé dès le 3 mai 2019 par la signature d’un nouveau protocole pour 600 réfugiés originaires de la Corne de l’Afrique
C’est le 14 mars 2017 que fut signé en France un protocole sur le même modèle que celui de l’Italie, entre le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et Sant’Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération de l’Entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique – Caritas France. L’objectif de 500 personnes accueillies a été atteint en décembre 2020.
Le 12 avril 2021, le protocole des Couloirs humanitaires en France a été renouvelé, entre le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et Sant’Egidio et les Semaines sociales de France. Ce nouveau protocole permettra d’accueillir durant les deux années à venir 300 personnes, syriennes ou irakiennes, en provenance du Liban.
Signature du deuxième protocole Couloirs humanitaires entre Valérie Régnier de Sant'Egidio et Dominique Quinio des Semaines Sociales de France.
Discours de Valérie Régnier lors de la signature à l'Elysée du premier protocole.
D’autres pays européens ont suivi : la Belgique, les principautés d’Andorre et de Monaco, la République de San Marino. En Belgique, un accord a été signé le 22 novembre 2017 entre l'Etat belge, la Communauté de Sant’Egidio, coordinatrice du projet, et plusieurs organisations religieuses, pour la mise en place d’un Couloir humanitaire permettant l'entrée de 150 réfugiés syriens en provenance du Liban et de Turquie. Le 8 mai 2018, c’est la principauté d’Andorre qui a rejoint l’aventure en signant un protocole pour l’arrivée d’une vingtaine de réfugiés en situation de vulnérabilité. Dans la foulée, le 30 mai 2018, la principauté de Monaco signait un protocole similaire.
Le 22 septembre 2020, toujours à l’initiative de Sant’Egidio, un protocole pour des Couloirs humanitaires intra-européens a vu le jour également pour permettre à 300 réfugiés de quitter l’enfer des camps de réfugiés de Lesbos (en Grèce) et rejoindre l’Italie. Enfin, dès 2019, Sant’Egidio a lancé un appel solennel aux gouvernements européens pour organiser un Couloir humanitaire de plus grande ampleur entre la Libye et différents États européens volontaires pour évacuer les migrants retenus là-bas dans des conditions inhumaines.
Au total, depuis le protocole initial signé en Italie en 2015, ce sont plus de 3500 réfugiés qui ont pu rejoindre l’Europe de manière sûre et légale et qui ont pu se reconstruire et s’intégrer, entourés par une société civile fraternelle.
Le projet Couloirs humanitaires a reçu d’importantes reconnaissances dans les pays de mise en œuvre mais aussi au niveau européen et au niveau international. Le 25 septembre 2019, les Couloirs humanitaires ont été récompensés par le prix Nansen, une distinction du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU pour l'aide aux réfugiés.
« Ce prix nous le dédions à tous les réfugiés qui sont arrivés en Europe, et à tous ceux qui sont encore en attente de pouvoir entrer grâce à un Couloir humanitaire.
Ce prix nous pousse à faire encore plus », a affirmé Marco Impagliazzo, président de la Communauté de Sant'Egidio, recevant le prix avec la Fédération des Églises évangéliques en Italie, la Tavola Valdese et la Caritas italienne. Le prix a été remis par Roland Schilling, représentant régional du HCR pour le sud de l'Europe. Il a affirmé que les réfugiés ont besoin « non seulement de protection, mais également de solutions à long terme comme les Couloirs humanitaires, une idée extraordinaire qui est en train de se diffuser ». Introduisant la remise du prix, l'ambassadrice de Norvège Margit Tveiten a également salué « au nom de Fridtjof Nansen, premier Haut-Commissaire de la Société des Nations (…), l'extraordinaire engagement dans la protection des réfugiés réalisé par les Couloirs humanitaires ».
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